Le plus ancien paysage de la peinture murale de Birmanie ?
Spécialiste des peintures murales bouddhiques, Cristophe Munier-Gaillard, doctorant à la Sorbonne (Paris IV) a résidé en Birmanie de 1999 à 2007 comme boursier du Ministère des Affaires Étrangères puis comme interprète au CICR. Il a publié en 2007 un ouvrage en anglais « Burmese Buddhist Murals. Volume 1 – Epigraphic Corpus of the Powin Taung Caves ». Installé à nouveau depuis peu en Birmanie, il travaille actuellement sur son prochain livre, à paraître en français en 2014. Consacré à la classification des styles de la peinture murale de Birmanie de 1550 à 1850, cet ouvrage sera l’occasion de mieux connaître les richesses d’un art dont ce pays conserve des trésors. Il nous livre ici quelques indices pour comprendre et mieux apprécier les peintures murales qui peuvent être admirées sur des sites comme la grotte du Tilokaguru à Sagaing, ou l’Ananda Ok-kyaung à Pagan.
- Photo1. Arbre utilisé comme séparateur entre deux scènes. Tilokaguru Hlaing Gu, Sagaing, début du 17e s.
Le développement du format narratif dans la peinture murale en Birmanie à la fin du 16e et au début du 17e siècle a conduit à une ouverture progressive de l’espace pictural qui voit les fresques s’enrichir d’arbres, de rochers et de montagnes. Les arbres sont toutefois le plus souvent réduits au rôle de séparateurs entre les scènes (photo 1). Une forêt n’est d’ailleurs généralement représentée que par un seul arbre. Les montagnes, figurées par des piliers, à l’instar des sept chaînes de montagnes qui entourent le mythique Mont Mérou (photo 2) montrent que le propos des peintres n’était pas de dépeindre mais de signifier.
- Photo 2. Deux des sept chaînes de montagnes entourant le Mt Meru. Aung Theikdi Phaya, Yezagyo, c. 1730-70.
Si ce vocabulaire nouveau mais encore archaïque prévaut au Tilokaguru, arbres et rochers y servent aussi à cadrer la progression du récit d’une façon plus naturelle. Il s’agit là d’une innovation : les groupes de rocs irréguliers, les arbres qui y poussent, les oiseaux qui chantent comme l’attestent leurs becs entrouverts (photo 3) participent à une représentation moins formelle et moins statique des récits bouddhiques. Même si deux des branches de l’arbre de droite ont été ‘contrôlées’ par le peintre pour encadrer le roi et son ministre (photo 3), leur inclination crée un mouvement, et leurs différentes longueurs introduit une notion de vraisemblance. Quant à la ligne du sol qui sert à démarquer le premier plan du second, il ne s’agit plus d’une simple ligne palliant l’absence de perspective, mais d’un relief terrestre et matériel qui fait illusion par sa forme sinueuse et son épais milieu noir, comme le sont certains rochers. Du coup, le roi et son ministre semblent marcher dans un cadre accidenté et donc réel. La nature prédomine dans cette scène, tant par le style que par les motifs. Il s’agit toutefois plus d’une combinaison d’éléments le long d’un axe narratif que d’un véritable paysage.
- Photo 3. Cadre traité de façon relativement naturelle. Gandatindu Jataka n° 520, Tilokaguru Hlaing Gu, Sagaing, début du 17e s.
D’un point de vue conceptuel, les premiers paysages visibles dans les peintures murales en Birmanie sont ceux que l’on trouve sur les fresques de l’Ananda Ok-kyaung à Pagan. Achevées en 1786 elles dénotent clairement une inspiration siamo-chinoise. Il n’est toutefois pas impossible que les paysages chinois aient déjà été connus des peintres du Tilokaguru dont les œuvres sont antérieures : les nuages que l’on y découvre, traduisent en effet une nette influence chinoise (photos 1, 4). Dans ce contexte, les collines derrière l’arbre de l’esprit du Gandatindu Jataka no. 520 – une des vies passées du Bouddha historique – (photo 4) peuvent être considérés comme une étape supplémentaire dans le traitement de la nature au Tilokaguru, sans conteste le plus important monument de la peinture murale du 17e siècle. Le peintre aurait pu laisser le fond rouge derrière l’arbre (comme dans la photo 1) mais à la place il a choisi de représenter une succession de petites collines avec des plantes et – là est le plus important – avec une ligne d’horizon. Même si elle est en deux parties décalées, cette ligne d’horizon démarque bien la fin du plan horizontal pour cette section relativement large. Cet espace a été utilisé librement par le peintre car il ne joue aucun rôle dans le développement du récit. Il fonctionne en lui-même. Autonomie plus évidente encore si l’on fait abstraction de l’arbre au premier plan. La représentation paysagère de l’espace birman était née.