La Birmanie dans la littérature occidentale : les « incontournables »

La Birmanie a inspiré de nombreux auteurs occidentaux – y compris deux lauréats du prix Nobel de littérature- dont les écrits sont devenus des « classiques » qui dessinent, sous des angles variés, la légende birmane. La bibliographie qui suit est volontairement éclectique. Aux côtés des « évidents » que sont Kipling, Loti, Kessel, et Orwell ; des non moins incontournables- quoique moins connus du grand public- comme Symes, Maugham, et Lewis ; elle évoque les grands oubliés de cette légende que sont Neruda et Cocteau ; sans omettre celui qui constitue un genre à lui seul : de Villiers.

Michael Symes (1761-1809)

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Inconnu du grand public, Michael Symes n’était pas un écrivain à proprement parler, mais un militaire et un diplomate. Cet irlandais, qui avait rejoint en 1780 l’armée du Bengale au service de la Compagnie des Indes Orientales, fut le premier Occidental envoyé en mission officielle en Birmanie. Dépêché sur place en 1795 par le Gouverneur général des Indes pour régler un différend frontalier, il y passa plusieurs mois. De son séjour, qui lui permit de résider à la cour du roi Bodawpaya, transférée d’Ava à Amarapura en 1783, il rédigea un compte-rendu dans la plus pure tradition des rapports des grandes missions diplomatiques du 18ème siècle, où se mêlent récit exotique, observations naturalistes et ethnographiques, et analyse politique. Outre sa dimension historique et documentaire, cet ouvrage, publié initialement en 1800, fut le premier témoignage vécu sur la réalité birmane présenté aux lecteurs occidentaux qui ne connaissaient jusqu’alors ce pays qu’au travers de descriptions plus ou moins fantaisistes, voire fantasmagoriques, à l’instar des évocations contenues dans les récits de Marco Polo réunis dans le Devisement du Monde.

Ouvrage recommandé :

Voyage en Birmanie. Relation de l’Ambassade envoyée à la cour d’Ava en 1795. Editions Olizane, Genève, 2002.

Joseph Rudyard Kipling (1865-1936)

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Beaucoup pensent que l’auteur du Livre de la Jungle - dont le personnage de Kaa est un authentique python birman- et de certaines des évocations les plus emblématiques de la Birmanie coloniale, a longtemps séjourné ou au moins voyagé dans ce pays. Les apparences sont trompeuses. Ainsi Rudyart Kipling, qui a si bien évoqué Mandalay dans son magnifique poème éponyme, ne s’est jamais rendu dans cette ville. Dans la pratique il ne foula la terre birmane que durant trois jours, lors de deux brèves escales à Rangoun puis à Moulmein, en mars 1898 –six ans après la parution de « Mandalay »- dans le cadre d’un voyage qui le conduisit de Calcutta à San Francisco. Il était alors inconnu hors du cercle des lecteurs des chroniques, nouvelles, et poèmes qu’il publiait notamment dans la Gazette Civile et Militaire de Lahore où il avait souvent évoqué la Birmanie qui faisait alors partie des Indes britanniques. Ses écrits ont largement contribué à forger la légende d’un territoire des confins, aux portes de la Chine, à la végétation luxuriante, aux nombreuses ethnies, dont les habitants portaient des patronymes réputés imprononçables, dont les femmes avaient une solide réputation de beauté et de courage, et où des groupes armés avaient opposé une résistance farouche avant de succomber à l’occupation britannique. L’évocation à proprement parler de son « séjour » en Birmanie tient en une vingtaine de pages dont la densité poétique montre combien il avait réussi à capter l’âme de la Birmanie qui apparaît régulièrement en filigrane de son œuvre dont l’univers, riche d’allusions historiques, géographiques, et culturelles, est une incomparable invitation au voyage.

Ouvrages recommandés :

  • Œuvres complètes, Collection Bibliothèque de la Pléiade (3 Tomes, n° 348, n° 387, n°429, n°478), Gallimard, Paris.
  • Œuvres (3 tomes), Collections Bouquins, Robert Laffont, Paris
  • Poèmes, Illustrations d’Hugo Pratt, Editions Vertige Graphic, Série Nuages, Paris, 2005. (Parmi ces poèmes, figure le célèbre "Mandalay", racontant les amours nostalgiques d’un soldat anglais avec une jeune Birmane).

Pierre Loti (1850-1923)

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Le capitaine de frégate Pierre Loti qui navigua souvent en Asie d’où il rapporta de nombreux récits de voyage, ne passa qu’une journée à Rangoun. C’était en 1900, deux ans après la visite de Kipling. A l’instar de celle de son illustre prédécesseur, son escale fut brève mais tout aussi intense. « Après les horreurs du quai, les horreurs de la ville », il découvre « une Rangoon immense et toute neuve, dotée de squares aux gazons tondus correctement ». Mais c’est « quelque chose d’unique (qui) arrête et déroute (ses) yeux : (…) une grande cloche d’or, surmontée d’un manche d’or », la Shwedagon, où il croise « les gentilles et rieuses petites personnes, ces Birmanes, si parées, sous leurs soies de nuances tendres », et se perd dans un dédale de « féérie » (…) : l’éblouissement des pagodes d’or ». Il consacrera à cette visite un petit ouvrage lumineux, recueil de sensations et d’observations, occasion comme dans chacun de ses livres, d’une immersion dans un lieu, une atmosphère, et une culture.

Ouvrage recommandé :

Les pagodes d’or, Bibliotheca Asiatica, Kailash, Paris-Pondichéry, 2003.

Somerset Maugham (1874-1965)

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Né et décédé en France, William Somerset Maugham, dramaturge et romancier britannique, parfaitement francophone, était l’archétype du gentleman aventurier dont la vie était aussi riche que l’œuvre. Personnage extravagant, il était à la fois esthète, médecin, agent secret, et écrivain à la plume raffinée, une sorte de Gatsby de la littérature dont les romans à grand succès firent de lui un homme fortuné. Grand amateur de voyages, il tomba amoureux de l’Asie. De 1922 à 1923, il parcourt la Birmanie, se mêle à la société coloniale de Rangoun dont la fin est proche, remonte l’Irrawady...à dos de mulet, explore les temples de Pagan, alors royaume des rapaces et de la végétation, et découvre les collines Shan. Il capta la subtilité des peuples, la mystique et la sensualité des paysages, l’originalité de certains personnages croisés lors de ses pérégrinations, et les travers de la société coloniale, le tout avec un humour et un flegme tout britanniques. Au fil des pages, Somerset Maugham s’improvise anthropologue, et livre ses observations sur les peuples et les sites qu’il croise.

Ouvrage recommandé :

Un gentleman en Asie, Voyage de Rangoon à Haiphong, traduit de l’anglais par Joseph Dobrinsky, Récit (poche), Editions 10/18, Paris, 2000

George Orwell (1903-1950)

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Même si Somerset Maugham avait un regard aiguisé sur l’ère coloniale finissante, il ne portera jamais la critique aussi loin que Gorge Orwell dont l’expérience birmane, à bien des égards unique –car vécue de l’intérieur- servit de révélateur à ses engagements ultérieurs. Ses études en Angleterre terminées, c’est tout naturellement que le jeune Eric Blair, qui n’avait pas encore pris son nom de plume, entra au service de l’armée impériale où il fut nommé sergent de police en 1922, et envoyé en Birmanie, pays qui n’était pas inconnu de sa famille. Né au Bengale, il était le fils d’un fonctionnaire de l’administration des Indes, chargé de la Régie de l’opium. Son grand-père maternel avait été marchand de teck en Birmanie. Après neuf mois de formation à l’école de police de Mandalay, il reçut sept affectations, successivement à Maymyo, Myaungmya, Twante, Thanlyin, Insein, Moulmein - où vivait encore sa grand-mère- et Khata où il contracta la dengue. Les cinq années qu’il passa dans une Birmanie en proie aux tensions suscitées par la montée du nationalisme, et par la répression orchestrée par le colonisateur, furent pour lui des « années d’ennui au son des clairons ». Rapatrié en Angleterre en 1927 pour raisons médicales, il refusa de retourner en Birmanie, et présenta sa démission de la police, pour se lancer à corps perdu dans la littérature et l’engagement politique. Son expérience birmane lui inspira plusieurs écrits : de « Une Pendaison » (1931), qui renvoie à une exécution capitale dont il fut le témoin, et qui dessine l’éthique dont Orwell ne se départira plus ; à « Comment j’ai tué un éléphant » (1936), véritable satire de l’impérialisme britannique ; en passant par son incontournable « Histoire birmane » (1934) dont l’anti-héros, à l’image d’Orwell, est la critique d’une administration coloniale corrompue et déliquescente qui l’inspira jusqu’au dégoût de sa propre expérience et le conduira après son retour en Europe à plonger dans le milieu des paumés, des miséreux, et des vagabonds, comme pour retrouver son humanité.

Ouvrages recommandés :

  • Une histoire birmane, Traduit de l’anglais par Claude Noël, Editions Ivrea, Paris, 1996
  • Dans le ventre de la baleine et autres essais, 1931-1943 (dont « Une pendaison » et « Comment j’ai tué un éléphant »), Traduit de l’anglais par Anne Krief, Michel Pétris et Jaime Semprun, Editions Ivrea, Paris,

Pablo Neruda (1904-1973)

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La puissance d’évocation littéraire de la Birmanie ne se résume pas à l’exaltation romantique qu’elle suscita chez certains grands écrivains voyageurs. Rares sont ceux qui savent que ce pays a une résonance particulière dans l’œuvre du grand poète chilien, Pablo Neruda, au point qu’un spécialiste de son œuvre n’hésite pas à qualifier le « silence birman –provoqué par l’impossibilité du poète de communiquer avec les autochtones- (comme) la matrice originelle de la poésie nérudienne ». Il est vrai que la Birmanie de Neruda n’a rien à voir avec celle de Kipling ou de Loti. C’est un univers dont le climat chaud et humide, la végétation luxuriante, et la langue - hermétique pour qui ne la maitrise pas- évoquent dans l’âme du poète latino-américain, un environnement étranger –mais non moins fascinant-, volontiers étouffant, au point de devenir le révélateur de la solitude intérieure de l’exilé mais aussi le catalyseur de ses souvenirs nostalgiques. Contrairement à Kipling ou Loti, Neruda a longuement séjourné à Rangoun où il fut nommé consul en octobre 1927. Venant de terminer ses études, il y débuta sa carrière diplomatique et ses pérégrinations asiatiques qui le conduisirent ensuite à Colombo, Ceylan, Singapour et Batavia. Il y passa un an, jusqu’à la fin de 1928, le temps de se pénétrer d’une atmosphère dominée par l’ennui qui régnait dans la société britannique hermétique qu’il y fréquenta, d’y faire des expériences interlopes - une maitresse birmane jalouse, des fumeries d’opium- et d’y écrire un de ses plus beaux recueils : « Résidence sur la Terre ».

Ouvrages recommandés :

  • J’avoue que j’ai vécu (Mémoires publiées à titre posthume) ; Traduit de l’espagnol par Claude Couffon, Série Folio (Livre 1822), Gallimard, Paris, 1987.
  • La solitude lumineuse (Extrait du précédent relatant l’épisode asiatique de la vie de l’auteur), Folio 2 (Livre 4103), Gallimard, Paris, 2004.
  • Résidence sur la Terre. (Première parution en 1969) ; Trad. de l’espagnol par Guy Suarès. Préface de Julio Cortázar ; Collection Poésie/Gallimard (n° 83), Gallimard, Paris, 1972.

Jean Cocteau (1989-1963)

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Jean Cocteau est plus connu pour son œuvre théâtrale, poétique et cinématographique que pour ses récits de voyage. Il est vrai qu’il n’avait rien d’un baroudeur. Du 29 mars au 17 juin 1936, il effectua pourtant un tour du monde en 80 jours avec son compagnon de l’époque, Marcel Khill, qui avait créé le rôle du messager de Corinthe dans une des pièces de Cocteau, La Machine Infernale. Effectué par les deux compères pour célébrer le centenaire de Jules Verne, ce périple, parrainé par le journal Paris-Soir, fut relaté par Cocteau dans un récit de voyage dédié à André Gide, où Khill apparait sous le nom de Passepartout. C’est dans ce cadre qu’il effectua une étape en Birmanie. Contrairement à Phileas Fogg que Jules Verne imagina voguant au large du pays sans s’y arrêter, à bord d’un vapeur qui s’appelait toutefois… Rangoon, Cocteau fit escale dans la ville dorée où il visita, 36 ans après Loti, la pagode Shwedagon : « tout un marché aux puces qui grouille, mange, fume et crache l’écarlate, jusqu’au sanctuaire et même le vestibule des Dieux, (où), plus blanche et plus nombreuse que le cierge de nos églises, une forêt de dieux encombre les esplanades qui flanquent le temple, coiffé d’une monumentale cloche d’or ».

Ouvrage recommandé :

Tour du monde en 80 jours : mon Premier voyage, Gallimard, Paris, 2009.

Joseph Kessel (1898-1979)

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Légende du journalisme, de la littérature itinérante, et de la Résistance, qu’un de ses biographes décrira comme un « Kipling des âmes agitées », Joseph Kessel est déjà un auteur reconnu lorsqu’il débarque en Birmanie en 1955. Un vieil ami, Jean Rosenthal, lui avait parlé des pierres précieuses dont il faisait commerce et qui provenaient de Haute Birmanie. Il n’en fallut pas plus pour que ce « nomade éternel », alors âgé de 57 ans, parte en compagnie de son épouse, et de Rosenthal, pour découvrir la cité mystérieuse dont provenaient ces joyaux, quête dont il tirera un ouvrage, à mi-chemin entre le récit autobiographique, le roman d’aventure et le documentaire qui fait de Kessel un véritable découvreur de « la vallée des rubis ». « Plus secrète que La Mecque, plus difficile d’accès que Lhassa, il existe au cœur de la jungle birmane une petite cité inconnue des hommes et qui règne pourtant sur eux par ses fabuleuses richesses depuis des siècles : c’est Mogok, citadelle du rubis, la pierre précieuse la plus rare, la plus chère, la plus ensorcelante. Mogok, perdue dans un dédale de collines sauvages par-delà Mandalay. Mogok autour de laquelle rôdent les tigres. La légende assure qu’aux temps immémoriaux un aigle géant, survolant le monde, trouva dans les environs de Mogok une pierre énorme, qu’il prit d’abord pour un quartier de chair vive tant elle avait la couleur du sang le plus généreux, le plus pur. C’était une sorte de soleil empourpré. L’aigle emporta le premier rubis de l’univers sur la cime la plus aiguë de la vallée. Ainsi naquit Mogok...”

Ouvrage recommandé :

La vallée des rubis, Folio, Editions Gallimard, Paris, 1955.

Norman Lewis (1908-2003)

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Grand reporter insatiable et auteur prolifique, Norman Lewis était un journaliste influent au Royaume Uni où sa plume est souvent comparée à celle de Graham Green. Mi anthropologue, mi aventurier, ce contemporain de Kessel, avec lequel il n’était pas sans partager certaines caractéristiques, s’investissait avec passion dans ses voyages-enquêtes qui le conduisirent à écrire sur des sujets aussi divers que le rôle des missionnaires dans les sociétés latino-américaines, l’Indochine française, la mafia sicilienne, et le crime organisé aux Etats-Unis. Fasciné par les cultures orientales, c’est tout naturellement qu’il se rendit en Birmanie en 1951. Indépendant depuis peu, le pays est en train de sombrer sous les coups des affrontements entre groupes rebelles. Lewis craignait que le pays aux mille pagodes devienne inaccessible comme de nombreuses contrées asiatiques qui, à l’instar de la Chine, s’étaient fermées aux étrangers suite à des guerres ou des révolutions. Il avait le pressentiment diffus de la dictature qui allait submerger la Birmanie quinze ans plus tard, d’où le séjour foisonnant qu’il y effectua, de l’archipel des Mergui aux collines Shan, dont il ramena un récit dense et nuancé, où transparaissent la beauté des paysages, la profondeur de la culture, et la complexité des peuples birmans.

Ouvrage recommandé :

Terre d’Or, Voyage en Birmanie, Traduit de l’anglais par Evelyne Rubinaud, Editions Olizane, Genève, 2012

Gérard de Villiers (1929-2013)

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Décédé dans son appartement, son chat…birman sur les genoux, Gérard de Villiers -peut-être l’écrivain français contemporain le plus populaire en France et dans le monde, que le New York Times avait désigné comme « l’auteur de romans d’espionnage qui en savait trop »- a sa place dans une revue des auteurs « classiques » ayant contribué à la légende littéraire de la Birmanie. Il aurait été surprenant que le prince Malko Linge ne sévisse pas dans ce pays où géopolitique a toujours rimé avec exotisme. Un an et demi après la prise de pouvoir à Rangoun en 1988, par la junte militaire, de Villiers, fidèle à sa culture de l’instantané réaliste, livre sa « croisade en Birmanie », un classique du genre pour les afficionados de SAS, où l’on retrouve le souci de l’exactitude historique, géographique, et culturelle, fruit des recherches documentaires de l’auteur, ainsi que les incontournables détails « graphiques » moins en situation …

Ouvrage recommandé :

Croisade en Birmanie, Série SAS, n°98, Editions Gérard de Villiers, Paris, 1990

publié le 04/06/2014

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